Le champ des possibles
27 avril 2020
Sans précédent. Ces deux mots doivent vous rendre malade à force de les avoir lus depuis le début du confinement. Pourtant, pour une fois, la presse n’exagère pas dans son utilisation. Rama Sithanen qui parle de ‘Helicopter money’ ? Le Financial Times, que personne n’oserait qualifier de journal de gauche, qui propose l’introduction d’un revenu universel de base ? Le Forum économique mondial qui milite également pour l’introduction d’un tel système ? Sans précédent.
Rama Sithanen l’a dit lui-même à nos confrères de Téléplus : la boîte à outil habituelle ne suffira pas à gérer la crise du Covid-19. La situation réclame une intervention forte de l’État. Là-dessus, tout le monde est d’accord. Il n’est plus question de laisser faire le marché. Navin Ramgoolam, dans un entretien à l’Express, indique qu’il faut même que l’État obtienne des actions dans les entreprises qui bénéficieront de son aide. Certes, il ne parle pas de nationalisation, mais l’idée de l’État qui se mêle des affaires du secteur privé et ait sans doute son mot à dire fait son chemin.
On est même allé plus loin que la simple parole : avec le Self-Employed Assistance Scheme de la MRA, on accepte le principe que l’État verse directement de l’argent aux citoyens. Au mercredi 22 avril, 160 000 Mauriciens dans le secteur informel ont touché les Rs 5 100 promis. Au total, cela fait donc Rs 816 millions. Le procédé s’apparente au revenu universel de base, selon Kugan Parapen, à l’exception du fait qu’une personne sans emploi durant le confinement ne peut en bénéficier.
Certes, il s’agit de réactions rendues nécessaires face à la crise, répétons-le, sans précédent. Mais pendant des décennies, le TINA (There is no alternative) de Margaret Thatcher a paralysé les débats et marginalisé les voix alternatives. Cette fois, le Covid-19 nous gratifie d’un retour des débats d’idées, donc un retour de l’histoire, dans la sphère de l’économie. Pourquoi ne pas en profiter pour regarder de plus près les solutions proposées ailleurs et voir ce que nous pouvons en tirer ? Et si la survie et la relance de l’économie sont les priorités immédiates, n’avons-nous pas le devoir de cogiter déjà sur le «new normal» de l’après-coronavirus ?
Le Forum économique mondial, nous l’avons déjà dit, Podemos en Espagne, le Pape François 1e, l’Allemagne, songent ou préconisent la mise sur pied d’un revenu universel de base. En France, l’économiste superstar, Thomas Piketty, a proposé depuis quelques années déjà, un revenu qui serait régressif en fonction des salaires et viserait surtout les jeunes qui rejoignent le marché du travail. À Maurice, avec le volume important de diplômés chômeurs, n’est-ce pas une idée qui pourrait nous intéresser ?
Il faut bien se dire que Maurice, contrairement à certaines de ces grandes nations où ces questions sont débattues, n’a pas les mêmes ressources et de surcroît, possède déjà un contrat social très fort. Le précieux legs fabien des architectes de notre indépendance. Ce n’est pas un hasard si personne n’ose toucher à la pension universelle alors même que notre population vieillissante augmente sa charge financière d’année en année.
Mais faut-il pour autant se dire que nous ne pouvons avancer davantage vers plus d’équité et de justice sociale ? Faut-il être satisfaits que notre coefficient gini – qui mesure les inégalités – se soit amélioré en 2017 ? Faut-il sérieusement repenser la politique fiscale uniforme à 15 % ? Certains actuaires et spécialistes de la question fiscale estiment en fait qu’il serait raisonnable de pousser la taxe jusqu’à la barre des 20, voire 25 %, pour les plus riches, sans courir le risque de la fuite des capitaux. Ce surplus de revenus n’aiderait-il pas à financer un revenu universel de base ? Ou alors n’est-ce pas le moment de songer à toutes ces questions ? N’en avons-nous pas les moyens de toutes façons ?
Zordi a fait appel à deux économistes qui ont des points de vue divergents sur la question : Manisha Dookhony et Kugan Parapen. L’ambition, avec cet exercice que nous promouvons dans le premier numéro de notre magazine PDF, est de contribuer au débat national, avec nos modestes moyens, sur ce qu’il sera possible et souhaitable de faire durant la sortie de crise. L’idée est d’élargir le champ des possibles.